L'audition colorée est une affaire qui mobilisa tous les poètes et musiciens romantiques - et je suis, je crois, un romantique (fort) attardé. Dès avant, un jésuite célèbre imagina le principe d'un clavecin oculaire (que Louis Castel tenta de réaliser au XVIIIe siècle et que Huysmans avec son orgue à bouche ou Boris Vian avec son piano-cocktail ont transposé à d'autres sens). Le bonhomme s'appelait Athanasius Kircher ! C'est dire si mon Athanasius Pearl porte la marque d'une telle filiation. Personnellement toutefois, je n'ai jamais vécu d'expérience d'audition colorée. N'empêche ! Pour des raisons culturelles, bien sûr, j'associe le grave au sombre, le clair à l'aigu. Et je suis très attaché à ce que je considère comme les " tonalités " d'un texte (au sens musical du terme : comme fa majeur ou si bémol mineur). Ces tonalités se transcrivent à travers la mise en cohérence d'éléments thématiques où les couleurs jouent un rôle particulier. L'an dernier, j'ai publié un court roman, Un cerf en automne. Au cours de l'écriture, je me suis laissé fasciner par les caractéristiques singulières que revêtent les amours des cervidés, eux qui s'accouplent en automne, là où la majorité du règne animal le fait au printemps. Il y a quelque chose d'étrangement sombre dans ce qu'on appelle le " brame de la langueur ", ce cri plein de mélancolie que pousse le cerf pour appeler la femelle. Et peu à peu, autour de cette image centrale tout s'est ordonné afin de donner une tonalité principale au récit - un récit en… saison mineure. Les rouges, les bruns, les oranges triomphent naturellement dans les descriptions (et pas seulement dans les évocations de la forêt). Il s'ensuit que la jeune épouse du vieux compositeur (Athanasius Pearl, une fois de plus !) ne pouvait qu'être rousse et irlandaise. Kathleen était née, et avec elle toute la mythologie celte s'est diffusée dans le texte. La couleur, vous le voyez, procède de cette cohérence qu'est la tonalité. Et Un cerf en automne, pour toutes ces raisons est certainement un roman rouge, mais un rouge flamboyant, illuminé par des reflets dorés.

Pour en revenir aux Tambours du Vent, plusieurs textes sont plutôt en bleu mineur. " La Fille en jean ", bien sûr à cause de son pantalon fétiche, mais aussi " La Violoncelliste " ou encore le conte qui a donné son titre au recueil. Le musicien anonyme dont on suit le parcours dans ce dernier texte s'est mis en quête d'une " note ronde et bleue ", ronde comme un sein, tandis que Douce qui, elle, modèle la glaise - c'est une figure divine, évidemment - forme sur son tour de potier un joli " bol bleu ", " comme un sein d'adolescente ". La couleur bleue a engendré la présence du fleuve, mais surtout toute la dimension aérienne du texte, depuis le supplice qui est infligé aux condamnés - les " tambours du vent " - jusqu'à la façon qu'aura le musicien de disparaître. Bref, le bleu aérien est partout. Alors un conte en rouge ? Je dirais : " Une ancienne ballade irlandaise ". Curieusement, et j'avoue que ce fut involontaire, on retrouve comme dans Un cerf en automne cette association du rouge à l'Irlande (c'est pourtant la verte Erin !). À cela s'ajoutent nombre de détails : les roses rouges qu'achète Florimond, la tenue que porte la poupée - un bustier " d'un rouge sombre " et un tutu " lie-de-vin ", etc. Mais aussi le thème central, car le lecteur découvre à la fin le rôle que joue le sang dans cette histoire.

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LES TAMBOURS DU VENT