J'ai découvert assez tard que la création littéraire s'apparentait à un expérience vampirique - c'est vrai aussi pour la musique, mais de façon plus complexe. J'aspire le réel qui m'entoure, et ce sont toutes les expériences vécues qui donnent aux mots leur dimension véritable, ce que j'appelle leur chair. Bien sûr, je ne raconte jamais ma vie, mais je pioche dans mon passé des épisodes, des parfums, des couleurs. Il peut s'agir d'un simple détail apparemment sans importance. Je me souviens d'avoir longuement contemplé en Algérie une buse qui planait haut dans le ciel. Le rapace s'est retrouvé le lendemain dans le roman que j'écrivais alors, Comme un palais de paix immense (publié dans des conditions catastrophiques à Oran). Ce sentiment du vécu peut encore s'incarner sous les traits d'un véritable double. Athanasius Pearl est ainsi mon semblable, mon frère. Il apparaît dans plusieurs de mes romans et nouvelles : Un cerf en automne, Bois morts, ou encore dans " La Fille en jean ", l'un des contes recueillis dans Les Tambours du vent. Ce n'est jamais le même personnage. Il peut être compositeur, mais aussi écrivain, vivre à notre époque ou entre les deux guerres. Mais c'est à chaque fois un petit morceau de moi.

Alors, bien sûr, les amours d'adolescence, les initiations tout à la fois musicales et érotiques - tous ces épisodes sont chargés de souvenirs. J'ai eu vraiment un professeur de piano qui agissait comme la demoiselle Bonvoisin dans " À deux secondes près ". Elle aussi était fille d'un compositeur. Je me souviens de ma dernière leçon. Elle était dans sa cuisine à grignoter du chocolat pendant que je jouais - vous voyez que je n'invente guère ! Je me suis mis à interpréter l'une de mes compositions, en prétendant que c'était d'Erik Satie (ça ressemblait plus à du Debussy et du… Ravel, mais qu'importe !). Elle est arrivée comme une furie et m'a lancé : " Mon pauvre ami, vous n'avez rien compris à ce qu'a voulu dire le compositeur. " Quand je lui ai dit au revoir ce jour-là, je savais que c'était un adieu. Bien sûr, j'ai connu des expériences musicales plus enthousiasmantes, plus émouvantes. Mais là, nous entrons dans mon jardin secret, et le lecteur doit se contenter de ce que j'en ai transcrit…

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LES TAMBOURS DU VENT