LA FILLE EN JEAN
Une fois revenu à la raison, j'ai retrouvé l'étudiant comme
enchâssé entre les cuisses d'Irène. Lui aussi s'était enfoncé dans les
profondeurs de la couette. Il devait évidemment goûter à ce sexe merveilleux
dont, moi, j'étais privé. Et je voyais ma maîtresse - car c'était malgré
tout ma maîtresse - se laisser doucement bercer par la jouissance qui,
peu à peu, montait en elle. Les ondes du plaisir la parcouraient. Malgré
les obstacles qui s'interposaient entre la scène et moi, je perçais à
jour son corps et ses mouvements avec une acuité dont, même à présent,
je ne m'explique pas la finesse. Car je devinais - non : je remarquais
que toutes les fibres de son dos s'agitaient comme sous l'effet de vagues
venues déferler inlassablement - un simple clapotis tout d'abord, et bientôt
une houle formidable.
C'est au moment où ce mouvement a atteint son paroxysme
que la musique a commencé à se faire entendre - je veux parler de cette
improbable symphonie qu'Irène fait résonner dans l'amour. Je découvrais
enfin l'origine du phénomène. Les sons étaient bien émis par tout le corps,
tendu comme la chanterelle d'un violon et agité par d'invisibles tressauts
d'archet. Mais il y avait en outre un organe, une pièce secrète qui vibrait
de façon particulière, et c'était elle qui communiquait ses moindres frissons
à chaque muscle, à chaque nerf. Une fois leur instrument achevé, les luthiers
placent à l'intérieur de la caisse ce petit cylindre d'épicéa que l'on
nomme l'âme. C'était cela que l'étudiant devait contempler avec tant d'émerveillement,
cela peut-être qu'il caressait, qu'il couvrait de baiser. Car à mesure
que les sons déferlaient, m'emportant dans leur tourbillon impalpable,
je voyais le dos d'Irène et son galbe exquis se déformer, se tordre d'étrange
façon comme autour d'un centre invisible. Une vrille, une série de cercles
concentriques, ou encore une ligne sinueuse se formaient et peu à peu
s'animaient. Autant de courbes qui venaient onduler au-dessus du lit,
toujours en fonction d'un point unique de référence. Et ce noyau secret
se situait très exactement entre les cuisses d'Irène, ces longs fuseaux
d'ambre - du moins est-ce ainsi que je les imaginais - profondément enfoui
dans l'écume mousseuse de la couette… Chacune des incroyables distorsions
qui s'accomplissaient de la sorte évoluaient au rythme des harmonies sans
nom qui résonnaient dans toute la pièce. Et c'était toujours à partir
de ce cœur second, de ce lieu d'émotion extrême, que les sons se diffusaient.
Je n'arrivais plus à saisir quelle était la part de souffrance et de félicité
qui parvenait à s'exprimer dans les frémissements que je voyais se multiplier
sous mes yeux. Mais un fait au moins était incontestable : tout, dans
les altérations du corps d'Irène comme dans les résonances qui en montaient,
indiquait clairement que cette agitation irrépressible provenait de son
âme…
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LES TAMBOURS DU VENT
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