CLAIR OBSCUR
À peine Angelica se fut-elle allongée sur le lit qu'elle
s'est mise à chanter. Après une ou deux vocalises, elle a entonné la partie
de soprano de notre duo. Puis elle a très lentement entrouvert les cuisses.
Sous la broderie blanche, largement ajourée de ses dessous de soie, j'ai
vu s'ouvrir une tendre cyprée à la coquille rose et satinée. J'ai soulevé
l'étoffe légère qui recouvrait ce trésor marin et l'ai frôlé de mes lèvres.
Mais presque aussitôt j'ai ressenti comme une sensation de brûlure tandis
qu'une suite de sons s'élevait du ventre de ma compagne. C'était très
exactement la mélodie de violoncelle qui, dans notre duo, faisait contrepoint
avec le chant. Ma partie ! L'esprit de la forêt kenyane, dont l'ombre
n'avait cessé de suivre la cantatrice, me volait ma partie ! Car ce ne
pouvait être que lui. Une nuée noire, comme une poussière d'ébène pulvérisée,
s'était mise à tourbillonner dans la pièce. Et je la vis prendre très
exactement la forme que j'avais aperçue dans le Jardin du Luxembourg.
Puis elle se dissipa et forma un vortex dont la pointe vint se placer
au-dessus d'Angelica, jusqu'à lui effleurer délicatement le sexe. La jeune
femme se cambra, écarta les cuisses et s'ouvrit largement pour livrer
passage à l'être impalpable qui s'était interposé entre nous deux. Pour
autant, elle n'avait pas cessé de chanter et abordait à présent le deuxième
mouvement de notre duo. La seconde voix, elle non plus, ne s'était pas
tue. Elle avait même gagné en puissance. Elle ne cherchait plus à imiter
le timbre du violoncelle, mais se chargeait de sonorités étranges aux
harmoniques chaudes et fortes.
Soudain, le baryton invisible cessa de respecter scrupuleusement
la partition. Je crus tout d'abord à une erreur. Mais bientôt, je dus
me rendre à l'évidence. Chaque nouveau changement introduit dans la ligne
mélodique d'origine ne pouvait être que volontaire. Il apportait en effet
une profondeur, une beauté nouvelle à l'ensemble, et parallèlement incitait
Angelica à déborder de son rôle. Soulevée par des ondes de plaisir, la
jeune femme prenait appui sur ce contre-chant inédit pour développer des
phrases nouvelles, des broderies inattendues. On ne déformait pas mon
œuvre, non ! on la perfectionnait, on l'élevait au rang du sublime. Mais
je ne m'y retrouvais plus. Je perdais le fruit de mon travail et avec
lui la femme que j'aimais et qu'un autre sous mes yeux conduisait à l'orgasme.
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LES TAMBOURS DU VENT
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