LA BICYCLETTE DE POPPY

Pour ses douze ans, Mia offrit une bicyclette à l'enfant. En grand secret, elle alla jusqu'à Cargo, la capitale, pour choisir le plus beau modèle, une splendide machine aux teintes cuivrées comme les cheveux de Poppy.

Bientôt on ne vit plus que la petite dans les rues de Clip-Clipper, sur les routes de traverse, au bord de la falaise, le long des champs de maïs, partout où ses jambes nerveuses poussaient hardiment sur le pédalier. Quand elle n'était pas à l'école, Poppy était sur son vélo.

Un soir de juin, profitant de la fin des cours et de la douceur de l'air, elle se hasarda un peu loin en dehors de la ville, sur les chemins de campagne où de vieilles maisons en bois, dressées dans des enclos herbeux, semblaient figées pour l'éternité. Le soleil déclinait comme une étoile languide derrière les eucalyptus. Poppy fit une embardée qui l'éjecta dans un fossé. La chute n'était pas dangereuse, mais en tombant elle faussa la fourche de l'engin, et la chaîne sauta. Comme c'était une gamine dégourdie capable de bricoler des réparations de fortune, elle ne s'affola pas. Mais cette fois, les dommages semblaient plus sérieux. Elle remonta sur son vélo tant bien que mal, essayant d'ajuster au mieux la chaîne qui résistait, se redressa sur la selle, et pédala en sens inverse pour obliger les maillons à se remettre dans l'axe. Elle tomba une deuxième fois, plus lourdement, et sentit le noir se faire en elle. C'était inexplicable. Elle reconnaissait qu'elle était là, à côté de son vélo, les genoux et la paume des mains égratignés, mais en même temps, elle était ailleurs. Ce n'était pas vraiment un dédoublement, mais l'impression effarante de se disperser. Elle était devenue une bulle qui voletait avec légèreté à quelques mètres au-dessus du sol. Elle embrassa d'un regard les champs en contrebas, les collines qui s'échappaient en courbes charnues jusqu'au fleuve, et plus haut, la couronne des séquoias géants qui, de leurs cimes arrondies, semblaient caresser les nuages. Elle voulut les toucher, elle aussi, ces nuages soyeux qui effilochaient leurs gouttelettes satinées dans la lumière changeante. D'un bond, elle se sentit poussée vers eux, qui l'accueillirent avec tendresse en l'enveloppant un instant de leur présence fragile. Du ciel, elle contemplait la terre. Tout en bas, elle reconnut sa bicyclette qui n'était plus qu'un point minuscule sur le chemin. Elle redescendit en dessinant dans l'air des arabesques invisibles. Poppy goûtait à l'ivresse d'être un oiseau. En se rapprochant du sol, elle vit très nettement l'herbe frissonner en vaguelettes, ondoyante sous la brise, tandis qu'une portée de marcassins prenait la fuite en reniflant sa présence. Elle débusqua un banc de mouettes rieuses que ses cris de joie affolèrent. Juste avant de se poser, elle remarqua de larges fleurs qui lui souriaient de leur grand œil violet.

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