COUP DE VENT

 

Dans le square des Batignolles, les animaux se sont regroupés sous le févier.

- On devrait lui dire la vérité, bougonne le cygne noir. Ça sert à quoi de le laisser chercher comme ça ?

- C'est pas tes affaires, réplique le févier. Laisse faire le temps. Et ne t'avise pas de jouer l'apprenti sorcier !

Il longea le ruisseau, passa sous les saules opulents qui se laissaient bercer par le vent, ignora le séquoia géant, et se dirigea vers le févier d'Amérique à côté du petit pont. L'arbre le regardait approcher d'un air réprobateur. Il se mit à gesticuler en secouant ses branches qui pendaient jusqu'au sol. Ses feuilles plates et jaunes s'agitèrent comme si sa patience s'épuisait d'avoir attendu si longtemps le visiteur.

- Je sais, je sais. J'ai trop tardé, fit celui-ci pour couper court à ses reproches.

Il leva une main impatiente vers les fèves, choisit la plus dodue, la massa entre ses doigts, laissant échapper l'odeur caractéristique de l'espèce, sucrée, subtilement citronnée, douce et fraîche que l'approche de l'automne rendait plus âpre. Remonta alors l'image qu'il traquait. Celle de cette femme qui, en un instant, avait rempli l'espace dépouillé de sa vie. Je ne veux pas me dire que je l'ai perdue. Last contempla le févier, quêtant un conseil. Mais celui-ci gardait son air renfrogné. - C'est comme si elle m'avait quitté, fit-il. L'arbre continuait à bouder, grattant le sol de ses branches tordues.

- Je suis dans un désert, comprends-tu ? Absurde ! Insupportable ! J'ai envie de hurler que ce n'est pas la fin de l'histoire.

- Ne la cherche pas dans le square, la solution n'y est pas. Last avait contemplé l'arbre d'un air soupçonneux.

- Pourquoi me dis-tu ça ? Qu'est-ce que tu sais que je ne connais pas ? Il vit l'arbre frissonner.

- Rien de plus que ça : la solution n'y est pas. Vous vous êtes rencontrés ici, je vous ai servi de Pater Familias ! Et vous en aviez bien besoin. Deux déracinés réfugiés derrière des prénoms improbables. Mais je le répète : la solution n'est pas là. Éloigne-toi si tu veux la retrouver.

Last fixa longtemps le févier, cherchant à l'amadouer par son silence têtu, mais l'arbre se faisait brumeux, fluide, recroquevillant ses branches, enroulant ses fèves soyeuses, lovant sa masse compacte autour du tronc, comme un tapis remisé au fond d'un grenier.

- Tire-toi, Last. Je suis fatigué.

 

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