La relève science-fictive française est-elle assurée ?

En quelques mois, trois premiers romans relevant de la Science-Fiction (mais oui, et pas de la fantasy) viennent de paraître chez nous. Du gros, du lourd, de l’ambitieux. On ne peut que s’en réjouir. Je commencerai par le dernier Prix de la Cour de l’Imaginaire, Les Maîtres de la Lumière de Claire Garand (je noterai que 5 des 7 Prix décernés l’ont été à des femmes).

Qu’est-ce qu’un Vourdalak ? Cette créature appartient au folklore slave. Il s’agit d’un loup-garou vampire rendu célèbre par « La famille du Vourdalak », nouvelle d’Alexei Tolstoï, écrite en français vers 1840 et publiée pour la première fois, de façon posthume, dans une traduction russe en 1884. Nouvelle qui connut une postérité considérable car très souvent reproduite dans des recueils traitant des suceurs de sang. Les Vourdalaks du roman de Claire Garand, Les Maîtres de la Lumière, seront fort différents de leurs cousins originels. Et plus dangereux encore.

Les Vourdalaks sont le nouveau fléau invisible de l’humanité : êtres de pure énergie, ils vampirisent les humains pour s’emparer de leur enveloppe charnelle, puis, pour se nourrir, ils aspirent toutes les humeurs d’autres victimes de hasard pour ne laisser derrière eux que des cadavres desséchés. Et quand un de vos proches est transformé en vourdalak, quoi de plus naturel et de plus horrible que de continuer à l’aimer et de lui procurer de quoi survivre ...

Heureusement, il existe une société secrète, qui, depuis la nuit des temps, combat ces abominables créatures. Cela, grâce à une arme destructrice , un disque-miroir incisé de deux fentes parallèles qui concentre la lumière et renvoie un jet continu de photons capable de réduire en cendres les morts vivants (même si cette expression n’est jamais employée dans le roman, l’auteure préfère parler de « non-morts » ). Le siège de la Société se trouve à Paris, dans un immeuble du XIX° arrondissement ne payant pas de mine, avec pour enseigne Lesueur et Cie, miroirs sur mesure. Cependant, sous cet immeuble, s’étend un immense réseau souterrain fait de laboratoires, de salles d’entraînement et de ramifications mystérieuses où ne peuvent pénétrer que des personnes habilitées. Des succursales de la Société se trouvent un peu partout dans le monde, à Osaka, Bombay, Bangui ou Valparaiso. A la tête de cette vaste structure : la Doyenne. Un être mystérieux dont on apprendra qu’elle s’appelle en fait Inanna, qu’elle est née vers – 3500 en Mésopotamie et qu’elle a acquis l’immortalité par régénérescences successives. Elle détient de lourds secrets qu’elle ne veut partager avec qui ce soit. Comme l’endroit précis où se trouve la source des Vourdalaks ? Elle possède une bibliothèque secrète constituée notamment de livres aux exemplaires uniques, commme le Codex Speculorum (Le Livres des Miroirs) ou Le Traité de la Difraction de Descartes, dans lequel « trop de secrets de la lumière [sont] révélés » (II 18). La Doyenne peut aussi se multiplier par « partition de conscience », se trouver à la fois à Paris et dans la peau d’une femme d’affaires d’Addis Abeba. Et ailleurs encore. Cette Immortelle dirige un vaste personnel à la hiérarchie bien établie : les Conseillers, qui la secondent dans sa tâche et qui dirigent les succursales réparties dans le monde ; les Traqueurs, qui doivent repérer où se terrent les Vourdalaks, grâce à des faisceaux d’indices glanés un peu partout ; les Chasseurs, chargés de détruire ces horreurs enfin localisées ; les Effaceurs, chargés d’éliminer ensuite toute trace des monstres vaincus et de leurs victimes, en faisant disparaître, par exemple, les cadavres desséchés laissés par les vampires ou en volant les vidéos de caméra de surveillance trop indiscrètes, bref, « en passant la serpillère ». Il y a également les Entraîneurs qui exercent au combat rapproché les Chasseurs et leur apprennent à manier le plus efficacement possible leur disques-miroirs , car l’ennemi est doué de translation instantanée quand il se sait en danger. Quand des Chasseurs ont été blessés, même très gièvement, ils guérissent presque instantanément grâce à un traitement miracle, « la luminite », qui permet « de réparer les tissus et les fonctions physiologiques par luminescence ». La « luminite » ne soigne pas vraiment, elle se contente « de remettre en place les atomes  grâce à l’énergie des photons »

Au fil du roman, nous allons suivre plusieurs personnages :

-La Doyenne, bien sûr. Personnage peu sympathique.

-Gal, une Chasseresse, dont le jeune fils est devenu un Vourdalak suite à une noyade dans la Loire et qui ne cherche qu’à le venger. Son disque-miroir est des plus précieux, car il remonte à la plus haute antiquité, il porte un nom, « Viroate », et il est le jumeau de celui de la Doyenne, car tous deux sont liés par « intrication quantique » .

- Gérard, un autre chasseur qui a disparu dans la nature, après avoir volé des documents secrets à la Doyenne, lesquels, espère-t-il, lui permettront de guérir sa femme se mourant d’un cancer en phase terminale.

-La docteure Hauser, qui a volé d’autres documents secrets, après avoir percé le secret de l’invisibilité, et qui espère grâce à eux vaincre également tous les cancers et obtenir le Prix Nobel ; elle parviendra à reconstituer dans son intégralité un corps réduit en cendres à partir d’un seul pied resté intact. Mais elle le payera très cher.

- Daria, elle aussi une immortelle sauvée autrefois par la Doyenne, et qui, rongée par la jalousie, ourdit un complot pour prendre sa place (ah ! être calife à la place du, pardon, de la calife !)

- Matteo, l’Effaceur, qui croit monter en grade dans la Société mais qui est manipulé par Daria.

J’en reste, bien sûr, aux personnages principaux, tant d’autres gravitent autour de ceux-là !

Sans cesse le lecteur passe d’une époque et d’un lieu à un autre, lieux à l’architecture souvent titanesque. Nous voici dans un relais-château du Morvan, infesté de Vourdalaks ; dans un gîte de haute-montagne où des Effaceurs périront par dizaines ; dans une charmante et bucolique « longère » qui disparaîtra dans une terrible explosion ; dans une grotte titanesque située sous le mont Elbrouz ; dans une « chambre lustrale », plus vaste que la place la plus vaste au monde (la place de la Mer des Etoiles à Dalian, ex-Dairen, en Chine, place nommément citée) et contenant une statue de 20 mètres de haut, celle du roi mésopotamien Lugal-Nan-Shi, autrefois l’amant de la Doyenne quand elle s’appelait encore Inanna, Lugal, le premier et la source, sans doute, de tous les Vourdalaks.

Les Maîtres de la Lumière est un roman dense, compact, touffu, et le lecteur n’a jamais le temps de respirer. On en sort exténué. Et impressionné. S’enchaînent : scènes d’action millimétrées, descriptions extrêmement pointues (avec abondance d’adjectifs, mais moi, personnellement, j’ai toujours aimé les adjectifs), paragraphes très gore, comparaisons rares comme « des dents aussi brillantes que le coeur des ormeaux » ou « des picotements parcouraient sa peau à la vitesse d’un nuage de sauterelles sur un champ de sorgho ». Quant à ce passage, «  Aucun son [...] ne franchit la barrière de ses dents », c’est du Homère pur jus.

Dans ce roman, nous sommes bien en Science-Fiction, pas en fantastique ou en Fantasy : les mots « zombies », « morts-vivants » ou « vampires » sont exclus , et quant au mot « sorcière », s’il apparaît effectivement concernant la Doyenne, c’est pour être démenti. Car elle est bien une scientifique.

Les références culturelles (peinture, Histoire, littérature, anatomie) étonnnent : se succèdent Rosa Bonheur et Hyacinthe Rigaud, Jean de Sponde, les Parabalanis ( je les connaissais pour avoir été les meurtriers de la philosophe Hypathie à Alexandrie en 415, mais j’ai quand même vérifié sur Wikipédia), le Bardo Thödol, le château Léoville-Las Cases (un Saint Julien 2° grand cru classé en 1855) , le serpent Ouroboros, la scissure de Sylvius, des armes de poing comme le HK 416, le Bobcat calibre 22, ou le FAMAS G1, la place Chaméane de Nevers ( personnellement, je n’y ai jamais mis les pieds, je sais, c’est un tort), l’empereur Chandragupta (mais si, le fondateur de la dynastie des Gupta en Inde !), La Comédie des Ogres (un album jeunesse du tandem Fred Bernard et François Rocca, non cités, et je possède tous leurs albums, magnifiques), etc ...

Non, je ne connais aucun roman mainstream qui mêlerait tout cela en un tourbillon aussi vertigineux. Je recommande chaudement. Mais prévoir quand même des cachets d’aspirine.


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CLAIRE GARAND

pour son roman

LES MAITRES DE LA LUMIERE


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