LE PRINCE ET LE CHEVALIER
Le surlendemain du départ de la fée, le quatrième équipage me
surprit en milieu de journée dans la clairière, celle où tu as émergé Scotty,
près de la rive, plus bas, au sud. Torse nu, je m’entraînais à…, il chercha ses
mots, sans doute pour ne pas effrayer inutilement son auditoire, mais se heurta
au regard perçant du skye-terrier… à manier mon antique claymore, fort lourde,
car je pressentais et pressens toujours des évènements terrifiants. Ahanant
sous l’effort, je finis par lever les yeux et vis, sur le bord du chemin,
interdits, immobiles, deux hommes, un cheval et un chameau, qui m’observaient
en silence. Les hommes ne semblaient pas effrayés, mais leur main droite
reposait sur l’arme qu’ils portaient au côté, prêts à dégainer, pour l’un un
cimeterre, pour l’autre une épée. De la main gauche, ils tenaient la bride de
leur monture : la chamelle que vous connaissez bien et un destrier blanc.
Je posai la claymore à terre et enfilai ma blouse puis ma
houppelande, car le froid me transperçait. D’un seul geste, totalement
symétrique, et en même temps, ils firent un pas en avant, portèrent leurs mains
droites sur leurs poitrines et me saluèrent. Puis ils se regardèrent, et le
maître de Doura, un Maure, s’adressa à moi le premier, en arabe. L’homme à
l’épée, un chrétien reconnaissable à la croix sur sa tunique, traduisait dans
la foulée ses paroles en une sorte de bas latin. À leur grande surprise, je les
comprenais tous deux, et nous prîmes vite le chemin de l’auberge. Ils
souhaitaient se restaurer et se reposer avant de rejoindre la clairière où
vivait le dragon au talisman. C’était clair, net et précis. Des hommes
renseignés. Organisés. Connaissant les tenants et les aboutissants,
c’est-à-dire l’existence de l’auberge et ma fonction de passeur.
Nous discutâmes à bâtons rompus, chacun de ces jeunes nobles, car
ils l’étaient assurément, respectant scrupuleusement la parole de son compagnon
de route et ne l’interrompant jamais, attendant du coin de l’œil le moment
propice pour parler.
Ils avaient indéniablement ce point commun d’appartenir à une
famille noble et d’avoir vu leurs destins s’unir de façon irrémédiable, mais
tout les opposait : leur culture, leur histoire, leur physique.
Le maître de Doura, Amin d’Al Andalus, est le demi-frère du calife
actuel d’Al Andalus, Hishâm. Hishâm est le fils aîné du grand calife Al
Hakam II tandis qu’Amin est son dernier fils, le plus jeune, un
trentenaire grand et mince, cultivé et raffiné. C’est un prince musulman qui
appartient à la famille des Omeyyades...
Son compagnon de route s’appelle Galal, Galal de Niort de Sault.
Il est également le cadet d’une famille noble. Une noblesse bien différente,
qui peine à vivre dans une région montagneuse et isolée. Son père, un petit
hobereau du sud, près des marches de l’Espagne, est un vassal du comte de Foix.
Galal et son frère aîné travaillaient leurs terres avec leurs
serfs.
― Un vassal ? Qu’est-ce
que c’est ? Et un serf ?
Angie ignorait tout de la féodalité d’Outre-Manche et se fit
préciser bien des choses pour comprendre ce système à partir de celui qu’elle
connaissait : le clan et le chef de clan. La fillette était fascinée.
C’était un univers exotique, mais plus proche d’elle que celui de la fée qui
n’appartenait pas à son monde, celui des humains sans dons ni pouvoirs
magiques, plus ou moins bien dotés par le destin ou le hasard, allez savoir
comme disait Nannie.
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