MAÎTRE GIBBS

La porte se déverrouilla et s’ouvrit sur la lueur d’une bougie qui éclairait le visage curieux et avenant d’un homme d’âge mûr. Grand et sec, un mince sourire, des yeux d’acier, perçants, des cheveux gris ramenés en catogan sur la nuque (des cheveux d’elfe pensa Angie), tel était Jacob Gibbs, comme il se présenta en les invitant à le suivre. Son cottage était plongé dans le noir. Aucun feu pour réchauffer la pièce où il les guida.

 Jacob Gibbs, tu peux m’appeler Maître Gibbs ou Maître Jacob, comme tu préfères. Reste bien couvert petit, il fait froid même à l’intérieur de la maison. Je n’allume plus de feu : interdiction absolue, inutile de se faire repérer à cause de la fumée ou des lueurs. Des bandes d’hommes sans plus de foi que de loi rôdent déjà bien suffisamment par ici. Comme ceux qui t’ont attaqué tantôt. Il n’y a même plus de loups dans nos forêts : tous mangés ! Les temps sont devenus fous… Un temps où les hommes dévorent les loups ! Raconte-moi ce qui t’est arrivé et ce qui t’amène dans cette région reculée du nord. 

Angie l’observa attentivement. Assis en face d’elle, accoudé à la grande table en chêne qui occupait une bonne partie de l’espace, elle vit un homme avare de paroles, mais franc et honnête, et aussi frigorifié (il portait de hautes chausses de mouton retourné, une houppelande mitée en loup et une toque assortie). Elle se pencha vers Tobie, allongé sur ses genoux : quand il cligna ses beaux yeux vairons, en signe d’acquiescement, elle se mit à parler à Maître Gibbs. Elle n’omit aucun détail, que ce soit sur elle-même, les pouvoirs de ses amis, les ravages des quatre Cavaliers, ou la raison de sa venue. Jacob Gibbs l’écouta sans l’interrompre, marquant sa surprise ou son inquiétude par de simples haussements ou froncements de sourcils. Ses joues se contractèrent à plusieurs reprises. À la fin du récit, il demeura un moment silencieux, regardant longuement tour à tour Angie et les trois animaux. Puis il se leva, et revint avec deux verres remplis de gnole dorée et tourbée.

 Un pour moi, pour me remettre de tes révélations et un pour Tobie, pour se remettre de sa blessure ! Toi, tu es encore un peu petite, Angie ! Nous allons faire les choses dans l’ordre. Je me présente. Vous êtes dans mon auberge, la dernière sur le chemin du loch Guess. Je m’y suis installé il y a fort longtemps pour y trouver la paix : peu de monde passe par ici et ceux qui viennent ont toujours une histoire surprenante ou un projet insensé. Donc solitude garantie, et quand elle est rompue, des récits à se remémorer pour les veillées à venir. Tous ceux qui viennent voir le dragon s’arrêtent là. Je te dirai tout ce que je sais d’eux Angie, mais n’oublie pas qu’aucun n’est jamais revenu. Mais avant, il faut se restaurer, se reposer, et vérifier que tu n’as pas perdu ton bonnet dans la forêt : c’est un porte-bonheur qui te manque si j’ai bien compris ? 

La fillette soupira… Elle était trop contente et tellement soulagée d’avoir rencontré Maître Jacob : ils étaient désormais à l’abri dans la vieille auberge. L’homme parlait peu, mais il était précis et efficace, et elle le sentait fiable.


 

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GABRIELLE DUBASQUI

pour son roman

AN MIL, ANNÉE DU DRAGON

 

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