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Le dragon sur la route des salons


Critique de Pierre Stolze dans Galaxies n°58

Les intrigues de la quasi totalité des romans de fantasy se déroulent soit dans des univers parallèles, soit dans des passés ou des futurs très très lointains. Invariablement, sont proposées aux lecteurs des cartes du monde, incroyablement précises, où les péripéties vont s’enchaîner : avec des montagnes infranchissables, des déserts terrifiants, des marécages noyées de brumes tenaces, des côtes absolument déchiquetées, des forêts impénétrables peuplées de peuplades carnivores, des volcans éternels cracheurs de lave, des paquets de dragons, elfes, trolls, magiciens et autres animaux parlants (mais moins bien que dans les fables de La Fontaine), et, on ne sait pas trop pourquoi, un élu (un prince de sang, un infirme aux pouvoirs cachés ou un niais aux pieds poilus) doit traverser tous ces paysages pour accomplir une vague prophétie qui empêchera les forces du mal de faire, justement, du mal. Et il réussit toujours, le bougre (ou la bougresse, c’est rare mais cela arrive). Au bout de trois, sept ou vingt volumes, peu importe, il (elle) réussit ! Et les forces du mal s’en trouvent fort déconfites. Mais, on le devine déjà, elles sont prêtes à se venger.

..... Surprise ! Le premier roman de Gabrielle DuBasqui, un roman de fantasy intitulé An Mil, l’Année du Dragon, ne répond pas, pas vraiment, à cet immuable cahier des charges. Déjà, l’intrigue se situe dans notre monde à nous. Bien réel. À une date et dans un lieu précis. Juste avant l’an mille et dans l’île de Skye (oui, cette île en face de l’Ecosse, dans la mer des Hébrides, au niveau des Highlands). Il y est question de la France, de l’Espagne, de l’Egypte ou de l’Inde. Les références historiques sont multiples, ainsi le sac de Barcelone par Al Mansour en 985, ou, avec de brèves échappées vers le futur, les fresques de la chapelle Sixtine, les oeufs Fabergé offerts au star de toutes les Russies, la guerre 14/18, Hitler et les camps d’extermination, le réchauffement climatique ...

À l’approche de l’an mille, considéré par beaucoup comme la date marquant la fin du monde, les quatre Cavaliers de l’Apocalypse font leur apparition. Couverts de métal, juchés sur des chevaux aussi colossaux qu ‘eux-mêmes, ils ravagent tout le Sud de l’Europe, accompagnés de leurs monstrueux acolytes, molosses « à huit pattes et huit têtes », « sagittaires aux corps de pachyderme », « énormes reptiles aux corps de terre et de boue », « insectes maléfiques [...] aussi gros que des aigles », j’en passe et des plus terrifiants. Après leur passage, la terre n’est plus que cendres et, sous un ciel aux étoiles voilées, s’est installé un froid glacial. Les rares survivants de cette apocalypse- rouleau compresseur fuient vers le Nord, vers les refuges illusoires de l’Angleterre et de ses îles.

Sur l’île de Skye, vit, depuis des centaines d’années, le clan McLeod. Et voici l’héroïne : Angie, une gamine dont on ne connaît pas l’origine, mais noble sans doute, et qui, Moïse féminine, fut sauvée des eaux dans son berceau lors d’une terrible tempête. Va lui incomber la quête qui doit sauver le monde de la destruction : chercher l’oeuf d’un dragon (qui s’avèrera une dragonne), seul talisman capable de refouler les forces du mal. Là, nous sommes en plein dans l’incontournable B. A. BA de la fantasy. Pendant que tout le clan se cache dans une succession de grottes sous l’autorité de Flora (pas « la belle romaine »), l’arrière grand-mère d’adoption d’Angie, celle-ci part vers le Nord de l’île de Skyie en compagnie de trois animaux parlants (encore un poncif de la fantasy) , chacun chétif mais possédant des pouvoirs divers: Tobbie le chien, et il peut manipuler n’importe qui en le regardant droit dans les yeux, Dolly, la brebis à l’extrême vélocité, et Scotty le poney, aux ruades redoutables. Ils adopteront encore Dora,chemin faisant, une chamelle prête à mettre bas.

Nouvelle surprise : de quête, il n’y en aura pas vraiment. Pas d’obstacles apparemment insurmontables, d’épreuves terrifiantes à affronter, non, très vite Angie et ses trois, pardon quatre, désormais, compagnons quadrupèdes arrivent à l’auberge de Gibbs, le passeur. Ce nouveau Charon amène de l’autre côté d’un loch qui veut conquérir l’oeuf de la dragonne. Et aux nouveaux arrivants, il raconte l’histoire de ses sept derniers visiteurs, dont aucun ne revint après la traversée du loch : un maharajah et son éléphant, une paysanne russe, une fée fort laide, un maure et un chrétien devenus amis, une chatte qui parle, un géant, un paresseux (oui, l’animal). Bref, cela fait un peu empilement d’histoires diverses. Mais Angie, après une traversée sans histoire, recevra sans coup férir l’oeuf magique d’une dragonne fatiguée , la dernière de sa race. Car pour l’obtenir, cet oeuf, il fallait avoir un coeur totalement pur. Angie délivrera les multiples prétendants qui, avant elle, ont été prisonniers de blocs de glace, les quatre cavaliers de l’Apocalypse disparaîtront illico, la terre refleurira, les survivants du clan Mc Leod sortiront de leurs grottes où ils étaient assiégés. Question : pourquoi n’y a-t-il pas eu un autre oeuf magique pour empêcher, par exemple, l’arrivée des nazis au pouvoir et l’épouvantable Shoah ?

Ce détail : la grande peur de l’an mille n’a jamais existé. C’est une invention d’historiens du XIX° siècle. Même si, en 1033 (mille ans après la mort et la résurrection du Christ), il y eut quelques soubresauts de mouvements millénaristes.

Je ne dirai pas que j’ai été emballé par ce roman. Mais agréablement déconcerté. Je dirai encore que Gabrielle Dubasqui, pour un premier roman, fait preuve d’un talent certain et qu’il serait intéressant de suivre son futur parcours. An Mil, Année du Dragon a été couronné par le Prix La Cour de l’Imaginaire 2018.



 

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GABRIELLE DUBASQUI

pour son roman

AN MIL, ANNÉE DU DRAGON

 

4couv






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