LE TOMBEAU

Une lassitude mortelle lui brisait les reins quand enfin il respira à nouveau un air sec et sain. Guidé par le faible courant d'air qui émanait d'une fissure, il palpa le mur alentour jusqu'à ce qu'un panneau cède sous la pression de ses doigts et bascule pour lui livrer passage.

Il pénétra alors dans un vaste caveau que ses piliers en fonte et ses voûtes en briques d'un jaune pâle permettaient de dater des dernières années du XIXe siècle. L'atmosphère calme et salubre était celle de ces bibliothèques anciennes où se momifient lentement incunables et palimpsestes.

À la faible lumière d'une veilleuse, Galwein entrevit tout un fatras archéologique entassé en désordre : fragments de bas-reliefs, morceaux de statues, colonnes disloquées et mosaïques disjointes… Sans doute se trouvait-il dans les réserves du Muséum archéologique. Occupé en surface, le personnel ne devait pas souvent s'aventurer en ces modernes catacombes : il ne décelait aucun effluve humain dans cet air raréfié.

À présent il lui fallait trouver sans plus tarder ce qu'il était venu chercher. Tremblant d'épuisement, les jambes rompues, il sentait jusque dans la moelle de ses os que la miraculeuse rémission dont il avait jusque là bénéficié était sur le point de s'achever.

Une effigie d'Anubis, le dieu des morts, gardait le seuil d'une salle consacrée aux rites funéraires, son fin museau souriant vaguement dans l'ombre. Galwein vint à lui et caressa ses oreilles délicates avant de parcourir la pièce du regard.

À l'exception du gisant d'un chevalier en armes, les mains jointes sur une prière et les pieds appuyés au flanc de son lévrier, qu'il contempla pendant quelques minutes, Galwein ne prêta qu'une attention distraite aux urnes étrusques et à tout le capharnaüm macabre qui l'entourait. Déjà son intérêt s'était porté sur une rangée de sarcophages gallo-romains. ..

Ils ressemblaient à de coquettes petites maisons pour les morts, avec leur toit en double pente aux quatre coins joliment retroussés. Si les plus simples étaient sobrement gravés du signe protecteur de l'ascia, les plus riches arboraient, sculptées en ronde-bosse, des scènes inspirées aussi bien par la chasse au cerf que par les Évangiles.

L'un d'eux attira Galwein : taillé en lignes pures et dépouillées dans un marbre presque translucide à force d'être blanc, il portait au flanc cette rosace solaire que l'on reconnaît sur les mégalithes d'Armorique, les meubles sculptés du Queyras. D'un doigt fébrile, il suivit plusieurs des lignes incurvées qui rayonnaient depuis le centre du disque et, inexplicablement, cela l'apaisa.

D'un effort convulsif, il repoussa la lourde dalle de couverture et se coula dans le caveau étroit, songeant qu'il gisait peut-être dans la cendre ultime d'un sénateur de Rome ou bien d'un centurion ; il ramena le couvercle au-dessus de sa tête comme il l'aurait fait d'un linceul.

Il s'était imaginé étendu en une posture hiératique, les bras croisés sur la poitrine, le visage noble et altier comme le paladin dont il venait d'admirer la froide et presque surhumaine majesté. Ainsi aurait-il pu incarner, au moins dans la mort, le Parfait Chevalier qu'il avait toujours rêvé d'être, changer son sang en albâtre et, summum de l'orgueil, devenir lui-même son propre gisant.

Cependant il était écrit que cela aussi lui serait refusé : à peine couché dans son cercueil de marbre, il ne put s'empêcher de se pelotonner sur lui-même comme un enfant malade et d'enfouir son visage au creux des ses bras, de peur que l'ogre ne vînt dans l'éternelle nuit pour lui crever les yeux - ou du moins ce qui en restait. Mais bien sûr il était trop tard.

L'ogre était venu et l'avait déjà dévoré.

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